Ce sont les plus riches qui sont les plus riches, et…?
Voici un schéma, qui semble véhiculer une idée de nature à plaire à la gogoche. Les riches sont très riches, et les pauvres sont vraiment très pauvres. La preuve: ce sont très peu de gens qui détiennent la majorité des richesses de la planète. Donc, normalement, vous devriez être trop dégoûtés par cette image
On se représente sûrement en bas de la pyramide des pauvres qui ont des gueules de pauvres, et en haut de la pyramide, eh bien des riches qui ont des gueules de riches.
Stop! De quoi parle-t-on? Dans le rapport du crédit suisse, on entend par « richesse » quelque chose d’assez restreint: ce sont les avoirs financiers (part mobilière donc) ainsi que les avoirs financiers sous forme immobilière.
Pour ma part, mais ne le répétez pas, je n’ai pas d’avoirs financiers, et comme biens, j’ai une petite bagnole… Mais cela ne rentre pas dans l’estimation du crédit suisse. Donc, cela veut dire qu’au sens de cette pyramide, je ne possède rien. Mais, pourtant, je ne fais pas partie des pauvres, au sens où je ne suis pas du tout en dessous du seuil de pauvreté. Mais, pour le crédit suisse, je ne suis pas riche…
Est-ce que cela pose pour autant un problème? J’ai accès, ainsi que ma femme et mes enfants, à un système de santé. Ma banque me permet de bénéficier de liquidités, sous forme de découverts. Mes dépenses de santé sont couvertes, et je peux circuler sur des routes en bon état, bénéficier de produits divers et variés à un prix accessible. Enfin, j’ai un accès quasiment illimité à la société de l’information et de la connaissance pour le prix d’une connexion internet et de la location d’une boîte ADSL, autant dire presque rien. J’ai également un téléphone portable avec un forfait au prix le plus bas…
Je ne parle même pas de la différence qu’il y a entre 1 dollar US au Rwanda et 1 dollar US en Suisse. Non, je parle juste du fait que cette pyramide présente quelque chose d’assez logique, qui n’a rien de choquant.
Il est normal que les super-riches forment une minorité. Mais il est finalement assez rassurant qu’il y en ait un nombre relativement important. Or si le nombre des super-riches est important, on peut s’attendre, logiquement, à ce que la part des richesses qu’ils détiennent constitue une portion non négligeable des richesses mondiales. C’est logique. Penser que c’est injuste, c’est se faire une drôle de conception de la répartition du capital.
Est-ce que cela veut dire pour autant qu’ils sont les seuls à profiter de ces richesses? Bien sûr que non! Les actifs financiers sont investis, et dans ces investissements, il y a, notamment, le fait de payer des gens, de développer des programmes destinés à fournir des services et des produits au meilleur prix. Est-ce que vous ne vous êtes jamais demandés pourquoi les riches toléraient des très riches, et les très riches des super-riches? Alors, sortez le pif des représentations faciles et qui mettent la larme à l’oeil, et réflechissez un peu… Cela a peut-être à voir avec le fait qu’un méga-riche peut faire circuler facilement une somme qui représentera beaucoup pour le très-très-riche, beaucoup beaucoup pour le très-riche, beaucoup beaucoup beaucoup pour le riche, etc. Pourquoi c’est le crédit suisse et pas une officine communiste qui établit ce genre de pyramides? Peut-être parce que cela renseigne sur la circulation du capital (un truc qui peut intéresser les banques…), beaucoup moins que sur sa concentration…
Bien entendu, les médias de gauche véhiculent l’image de riches qui se vautrent dans des plaisirs absurdes, et qui ont pour seule ambition d’avoir un plus grand yacht que celui de leurs potes. Sans doute cela existe. Comme il y a des pauvres qui profitent de l’aide sociale pour se payer leur vin de merde et leur tabac à rouler miteux, quand ce n’est pas l’écran plasma, qui leur permettra de suivre des programmes tous plus débiles les uns que les autres.
Ok, mais sinon? On peut être en bas de la pyramide, et profiter, finalement, assez bien du CAPITAL qui circule en haut, mais qui irrigue toute la société…
Arrêtez de gober des idées qui semblent prouvés par des schémas graphiques, et demandez-vous d’abord ce que signifient ces images, et pourquoi et par qui elles ont été produites à l’origine, ou continuez de gober la soupe socialiste…
Il faut lire Platon avec des pincettes…
Dans La cité et l’homme, Léo Strauss écrit :
« … dans aucun dialogue de Platon les hommes qui discutent avec le personnage principal ne possèdent la perfection des natures les meilleures. C’est une des raisons qui expliquent pourquoi Platon utilise une multiplicité de porte-parole : en évitant de mettre en scène une conversation entre Socrate et l’étranger d’Elée ou Timée, il nous montre qu’il n’y a pas de dialogue platonicien entre les hommes qui sont, ou qui pourraient être, considérés comme égaux. » (p.75)
Ce que pense Léo Strauss, c’est que Platon ne considère pas le dialogue comme une discussion démocratique.
La démocratie, c’est justement ce qui a permis la mort de Socrate, une grande injustice, car l’accusation ne reposait que sur la volonté des notables d’Athènes de se débarrasser d’un gêneur. La démocratie est, aux yeux de Platon, l’ennemi à abattre.
Karl Popper l’a tout à fait compris, en comprenant également que Platon défendait une société fermée, dont le souci principal devait être l’homéostasie, c’est-à-dire figer la Cité dans la reconduction à l’identique de ce qui a toujours existé.
Si, dans les dialogues de Platon, il n’y a pas de démocratie, c’est parce qu’il est faux que tous les hommes se valent entre eux. Certains sont bons, d’autres sont mauvais. Dire que nul n’est méchant volontairement, ce n’est pas excuser les méchants, ni nier la méchanceté, c’est insister sur un lien entre déraison et méchanceté, entre ignorance et méchanceté.
Si l’on va jusqu’au bout de ce que suggèrent les dialogues de Platon, on trouve un pessimisme radical. La plupart des gens sont bêtes, se laissent attraper par des gens un peu moins idiots qu’eux (les sophistes). Seul un être intelligent (le philosophe), capable de comprendre la réalité au-delà des apparences, pourra les sauver de leur bêtise, et leur montrer le chemin du bien et du beau.
On peut imaginer une cité idéale, qui sera capable de mettre les meilleurs tout en haut, et de répartir les autres selon leur nature, en essayant de faire que les imbéciles ne nuisent pas trop à l’équilibre du tout. Mais c’est au fond un rêve. Les hommes ne sont pas comme il faudrait qu’ils soient pour espérer que la politique réalise ses promesses : la constitution de l’ordre idéal…
Un dialogue platonicien instaure, très momentanément et de manière très réduite dans l’espace, et dans le nombre des personnes qui y sont engagées, un ordre platonicien. Les imbéciles doivent rester à leur place. Les beaux et les nobles (dont on peut soupçonner qu’ils recèlent deux sous de bon sens) peuvent espérer en finir avec deux ou trois croyances contradictoires, et les meilleurs demeurent les meilleurs.
La maïeutique et le coup de Socrate le Hippie qui accouche les âmes et aide tout le monde à mieux se connaître (sorte d’ancêtre du coach), c’est ce que l’éclectisme du dix-neuvième siècle a bien voulu voir, pour faire que Platon pût s’intégrer à un cycle d’études philosophiques destiné à former des républicains et, mais sans aller trop loin tout de même, des démocrates…
Le platonisme, c’est pour l’essentiel une réaction anti-démocratique, radicale. Ce que Platon ne supporte pas, c’est que les artisans et les producteurs puissent être la raison d’être de la Cité. Il ne supporte pas l’idée que s’il y a des sociétés, c’est pour que les gens améliorent leur sort, leur condition, et soient en mesure de libérer leurs efforts et leurs initiatives, afin d’entreprendre, ou de s’associer pour entreprendre. Il ne supporte pas le désordre (enfin, à ses yeux) que cela peut entraîner, c’est-à-dire le fait que tout devienne imprévisible, et que personne ne puisse contrôler d’un seul regard comment les affaires de la Cité s’organisent.
Les libéraux ont tout intérêt à prendre Platon avec des pincettes. Cela ne veut pas dire qu’il ne s’agit pas d’une immense oeuvre philosophique. Les philosophes ont encore beaucoup à apprendre à lire Platon, à suivre Socrate dans ses arguments et dans ses contre-arguments, à percevoir la finesse des distinctions conceptuelles, des aperçus métaphysiques et sémantiques. Mais il ne faut pas penser que les valeurs de Platon soient compatibles avec la liberté au sens des Modernes.
Bien sûr, on le sait depuis longtemps…
Mais encore beaucoup trop (en général ceux qui pensent que la liberté, c’est la démocratie majoritaire plus l’Etat-providence) pensent que l’idée platonicienne du philosophe-roi est une idée sympathique. Oui… à condition de trouver également Mao, Staline et Hitler sympathiques…